L’avenir social et économique de la Suisse est notre affaire

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L’avenir social et économique de la Suisse est notre affaire

Consultation œcuménique des Eglises: Réponse de la FRSC

C’est à l’occasion de sa journée de rencontre du samedi 30 janvier 1999, au Cercle ouvrier d’ Yverdon-les-Bains, que la Fédération romande des socialistes chrétiens a répondu à la consultation oecuménique «Quel avenir voulons-nous ?». Répartis en quatre groupes de travail, les participants ont cherché à définir les valeurs fondamentales qui doivent inspirer l’organisation sociale et la politique. Ils ont également établi un catalogue d’exemples de mesures concrètes à proposer aux Eglises et aux partis politiques. Les chapitres ci-dessous correspondent aux rapports des groupes, retravaillés par un rédacteur. La forme finale de cette réponse a été adoptée par le comité romand dans sa séance du mardi 27 avril 1999.

Politique et législation: donner sa place à chaque être humain

Chaque homme/femme doit être reconnu comme membre de la société à part entière: chacun doit donc y avoir sa part de responsabilité et de droits. Le simple fait d’exister doit donner un droit à recevoir une part des biens produits par la société sans avoir à mendier le minimum vital, à prendre une part à la production de ces biens sans avoir à supporter les conséquences d’une organisation économique incapable de répartir équitablement le travail. L’instruction, la santé, le progrès technique doivent être considérés comme des biens collectifs dont l’accès doit être assuré à chacun, sans distinction d’origine, de fortune ou de compétence. Nous considérons toutes les richesses économiques comme un don de Dieu à l’humanité dans son ensemble: les lois que l’humanité se donne doivent donc en assurer une juste répartition entre tous les humains. Elles doivent également assurer l’intensification mais aussi la durabilité de la production des richesses correspondant aux besoins fondamentaux. Plus concrètement, – Chaque travailleur doit obtenir un salaire suffisant pour satisfaire tous ses besoins fondamentaux et ceux de sa famille, sans devoir faire appel à des aides sociales complémentaires. – Un revenu minimal doit être assuré à chacun lorsque les circonstances (âge, santé, …) ne permettent pas de l’obtenir par un travail rémunéré. Ce revenu minimal doit également être suffisant pour satisfaire tous les besoins fondamentaux. – L’Etat doit obtenir des revenus suffisants pour assurer à chacun des services gratuits (police, enseignement, …); ces services doivent être de qualité égale pour tous. La fiscalité doit être un moyen de redistribution des richesses mal partagées et donc exiger des plus favorisés un effort important. Il est indispensable qu’elle soit harmonisée entre les communes, les cantons, voire les Etats, afin que personne ne puisse se soustraire à son devoir de participation.

  • L’Etat doit avoir une politique dissuasive à l’égard des tentatives d’accaparement des biens (par exemple taxe «Tobin» contre la spéculation).
  • L’Etat doit favoriser la recherche et la mise en pratique de solutions assurant un développement durable. Mais nous sommes favorables à la pénalisation (par la fiscalité notamment) des solutions dommageables (productions polluantes, entreprises ne recherchant pas un partage du travail, etc.) plutôt que le subventionnement des solutions positives (ce qui revient souvent à en camoufler le coût réel).
  • L’Etat doit privilégier la recherche de la paix par rapport à la préparation de la guerre: promotion de la non violence, aide aux pays connaissant des difficultés économiques, missions de bons offices dans les régions du monde où sévissent des conflits.
  • Les lois doivent imposer la démocratie économique (participation des travailleurs aux décisions et aux bénéfices).

Un dernier point nous tient à coeur: la démocratie doit être renouvelée pour permettre la recherche de solutions négociées, sans perdants: notre logique actuelle implique que 51 % de votants peuvent imposer leur solution à 49% de perdants! La recherche de la paix (sociale mais aussi entre Etats) passe par la recherche de moyens de négociation, d’accueil de l’opinion adverse. Ce dernier point est sans doute difficile à transcrire dans des lois: mais nous ne pensons pas impossible que l’éducation soit orientée vers un tel changement de mentalité.

Rôle des Eglises: inciter les femmes et les hommes à faire de la politique

Nous n’attendons pas des Eglises qu’elles se substituent aux partis politiques, ni qu’elles prennent position pour tel ou tel parti, ou tel ou tel politicien. Pas davantage qu’elles défendent des projets globaux de société. Mais elles doivent assumer leur fonction de lieu où se forge une certaine conception de l’homme et de la vie sociale. Elles ont donc à réfléchir sur les rapports entre les hommes et se doivent d’exprimer avec fermeté leurs options fondamentales. Elles doivent aussi inciter leurs fidèles à réfléchir aux questions politiques, économiques et sociales et à s’engager dans la vie politique, économique et sociale. Plus concrètement, – La vie des Eglises doit démontrer une cohérence entre le dire et le faire. Leur organisation, leur administration, leurs finances sont autant de moyens de montrer l’exemple de l’amour du prochain, du partage, de la justice et du refus de la résignation.

  • Les Eglises peuvent s’associer à d’autres organisations politiques, économiques ou sociales pour défendre les grandes options qu’elles tirent de l’Evangile.
  • Les Eglises doivent être particulièrement attachées au respect de la vie, de la famille et rappeler sans cesse leur souci des éléments les plus faibles de l’humanité.
  • Les Eglises ont un rôle important à jouer dans la formation de l’opinion publique. Face à la montée de l’égoïsme, des nationalismes, du matérialisme, elles doivent faire la promotion de valeurs humanistes et spirituelles: accueil des étrangers, respect des cultures, priorité de la qualité de la vie et du bien commun, résolution non-violente des conflits à tous les niveaux, respect de l’équilibre de la création, …
  • Les Eglises doivent combattre toutes les idolâtries et rester attentives à ce que leurs convictions ne deviennent pas fanatisme.

Action politique et sociale: reconquérir la démocratie

La politique a de plus en plus tendance à devenir un monde clos qui n’intéresse qu’une minorité, alors qu’une majorité de citoyens sont persuadés qu’ils ne peuvent rien changer et même se méfient systématiquement des politiciens. La mondialisation de l’économie et son influence croissante sur l’organisation sociale, qui restreignent le débat démocratique, accentuent cette tendance. Contrairement aux espoirs générés par les progrès de l’instruction et de la démocratie formelle, c’est une minorité qui organise la production et la répartition des richesses: au XXIe siècle, il s’agira donc de reconquérir la démocratie et la justice. L’organisation du secteur social doit permettre à chacun de bénéficier d’une protection adaptée.

Plus concrètement,

  • Il est indispensable de rééquilibrer les centres de décision et de revaloriser la démocratie locale: chaque homme/femme, dans son quartier, son entreprise, sa commune doit avoir la possibilité de participer à l’organisation de son cadre de vie. La participation active de chacun doit être encouragée dans les syndicats, les parlements de jeunes, les associations, les paroisses, etc.
  • Les étrangers doivent pouvoir s’associer à la vie politique, ce qui implique le droit de vote.
  • L’Etat doit retrouver la primauté sur l’économie à qui il doit fixer un cadre précis. Il jouera un rôle régulateur en favorisant les producteurs «propres» (écologie, conditions de travail, …) par exemple avec des labels, et en pénalisant fiscalement ou en interdisant les produits obtenus par des moyens injustes ou dangereux pour l’équilibre naturel et social.
  • Les Etats doivent s’associer pour définir et appliquer des normes sociales et économiques assurant une juste répartition des richesses et un développement durable.
  • Le système social doit accorder la priorité aux hommes et aux femmes qui passent entre les mailles du filet de la prospérité; il doit lutter contre l’exclusion et donner à chacun la possibilité de retrouver et conserver sa dignité.
  • Au niveau de la Suisse, le système social doit être amélioré et adapté à la situation actuelle: généralisation de la LPP, solutions souples pour l’AVS (pourquoi pas une différenciation du droit à la retraite en fonction des professions, de leur pénibilité et de leur espérance de vie ?).

Mais, avant tout, un minimum vital décent couvrant tous les besoins de chaque travailleur, permettrait de limiter le rôle social de l’Etat.

Une économie au service de l’homme

Existe-t-il une économie qui puisse servir les aspirations de 1’humanités dans son ensemble et non seulement assurer un profit maximum à une petite partie de la population? Comment vivre la mondialisation des marchés, la concurrence débridée sans pression croissante sur les salariés et sans tarir les richesses naturelles? Les grands pontes de l’économie ont ébauché cette réflexion lors de leur dernière réunion de Davos. Existe-t-il une chance qu’ils trouvent des solutions qui dépassent les intérêts individuels à court terme? L’argent est le «nerf de la guerre». C’est lui qui gouverne le monde, qui dicte les politiques, qui régit (et fausse) les rapports humains. De simple moyen d’échange il est devenu valeur suprême dans notre société: est reconnu celui qui en possède en suffisance. Dès lors, le travail non rémunéré (familial, bénévolat) ne peut se valoriser et celui qui ne peut compter sur un revenu stable et suffisant se marginalise. Nous sommes frappés par l’actualité des paroles du Christ qui disait qu’on ne peut servir deux maîtres et qu’il faut choisir entre Dieu et Mammon. (la puissance de l’argent). Dieu a donné à l’homme autorité sur la création pour qu’il la fasse prospérer, et voilà que c’est l’autorité de l’argent qui asservit l’homme. Un monde qui se base sur cette valeur peut-il croître et prospérer? Nous voulons une économie réellement au service de l’homme, dont le but soit de couvrir tous les besoins humains. fi faut donc imposer au monde économique des critères autres que ceux de la rentabilité maximale et de la compétitivité (cf. label social). Plus concrètement, – Il faut définir et faire appliquer ce que sont des conditions de travail convenables et un salaire suffisant. – Il faut promouvoir une meilleure répartition du travail en pénalisant fiscalement les entreprises qui recourent aux heures supplémentaires ou qui se restructurent en créant du chômage dans le seul but d’augmenter leur profit. – Il faut reconnaître la valeur du travail bénévole et familial et ne pas subordonner l’acquisition du revenu à la seule production de biens et de services. – Il faut taxer les moyens de production (par exemple lorsque des machines remplacent des travailleurs) et l’utilisation d’énergies non renouvelables davantage que le travail et sa rémunération. – Il faut que les employés puissent participer aux décisions de l’entreprise. – Il faut favoriser un marché équitable. – Les entreprises doivent constituer des réserves en période de prospérité pour maintenir des revenus et une sécurité suffisants à leurs employés en période de difficulté. – Si la mondialisation de l’économie s’avère inéluctable, il faut que les Etats s’entendent sur une mondialisation des lois et des critères auxquels elle doit se soumettre, de façon à ce que les hommes et les femmes ne deviennent pas des victimes de l’économie.

Education: former des hommes capables de comprendre le monde et d’agir

Bien que l’accès à la formation et à l’information soit mal réparti, nous vivons dans un monde où l’école et les médias ont une très grande place. Mais la quantité des informations disponibles ne va pas de pair avec sa qualité: les hommes savent beaucoup de choses, mais ils restent incapables de trouver des solutions aux problèmes fonda- mentaux. On sait tout ou presque, et immédiatement, de telle guerre ou catastrophe climatique, mais on ne fait qu’improviser des solutions lorsqu’elles surviennent! Il faut donc développer et diffuser les outils de compréhension.

Plus concrètement,

  • Il faut que les moyens d’information n’en restent pas à l’événementiel mais privilégient la réflexion.
  • Les programmes scolaires doivent développer la capacité de comprendre.
  • L’école doit enseigner les moyens de résolution non-violente des conflits.
  • L’école doit privilégier l’apprentissage de la collaboration plutôt que celui de la compétition.
  • Les sciences humaines doivent être revalorisées par rapport aux sciences exactes et aux techniques.
  • Les droits de l’homme, de la femme, de l’enfant, du travailleur doivent être enseignés avec leur complément, les devoirs de l’homme. L’éthique doit donc avoir sa place dans les programmes au même titre que l’informatique.
  • La formation continue doit être reconnue comme un droit fondamental au même titre que la formation de base.

Conclusion

Les socialistes chrétiens ont entendu un appel d’en-haut qui leur interdit de se résigner face à un monde qui reste injuste et violent alors qu’il dispose aujourd’hui de connaissances, de moyens techniques, de sources d’information, de possibilités d’échanges extraordinaires. Ils demandent aux politiciens, aux entrepreneurs, aux savants, aux croyants, aux enseignants de mettre en oeuvre ces moyens pour créer un monde juste où le pain quotidien soit partagé équitablement. Ce n’est d’ailleurs pas qu’un idéal philosophique: il en va de la survie de l’humanité! Ils s’engageront aux côtés de celles et ceux qui, sans forcément partager leur foi, recherchent des solutions concrètes propres à assurer la paix, la justice et la sauvegarde de la création.