Votations fédérales du 25 novembre 2018
Initiative pour l’autodétermination (contre les juges étrangers)
La Suisse n’est pas seule au monde !
L’UDC veut défendre la démocratie directe et le droit à l’autodétermination du peuple suisse. On sait qu’elle fait une fixation maladive sur les étrangers, responsables immuables de tous les maux et cibles faciles de tous les nationalistes. Cette fois, ce sont les juges étrangers qui sont visés, comme le dit clairement le libellé de l’initiative, même si la propagande des initiants à tendance à gommer cette partie du titre et évite autant que possible la référence à l’UDC.
La défense de notre indépendance et la volonté de donner la priorité à la Constitution fédérale et aux décisions du peuple ont évidemment de quoi titiller notre fibre patriotique, qui est réelle n’en déplaise à certains. Mais entre le patriotisme, qui est amour d’une terre, de ses habitants et de ses institutions, et le nationalisme, qui est une prétention à placer un peuple au-dessus et en dehors du concert des nations et qui conduit souvent à la guerre, il y a un pas que nous ne franchissons pas. L’histoire nous laisse trop d’exemples des catastrophes induites par les nationalismes. L’acceptation de l’initiative donnerait raison à Mme Le Pen, à M. Salvi, à M. Orban, à M. Trump, à M. Erdogan et à M. Poutine. Qui peut croire qu’ils nous préparent un monde meilleur ?
La Suisse a d’ailleurs largement profité de traités internationaux qui, reconnaissant par exemple notre indépendance et notre neutralité, nous ont protégés depuis plusieurs siècles. La Croix Rouge, dont nous sommes si fiers, tente d’imposer des règles supra-nationales. L’Union européenne, dont nous sommes absents, et le Conseil de l’Europe, dont nous sommes membres, sont certainement bien imparfaits, mais ont quelques mérites, notamment celui de garantir la paix entre les nations. C’est un progrès indéniable et il serait catastrophique de revenir en arrière. Il faut plutôt lutter pour améliorer la démocratie et la justice, ici et ailleurs dans le monde. Nous souhaitons que notre pays fasse rayonner son bonheur plutôt qu’il s’isole politiquement.
Les initiants admettent une exception pour «le droit international impératif qui interdit, par exemple, la torture» et rappellent que les «droits de l’homme sont de toute manière réservés puisqu’ils sont ancrés dans notre constitution» (citations du tous-ménages du comité d’initiative). Cela implique donc qu’il peut y avoir, qu’il faut qu’il y ait, des instances supérieures pour définir ces droits.
Si la Suisse décidait que son droit à l’autodétermination est supérieur aux principes de régulation internationale, cela reviendrait à admettre que tous les peuples peuvent revendiquer ce droit : la Suisse ne devrait donc pas être seule à dénoncer la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et à adapter les obligations du droit international aux dispositions de sa constitution. On voit que l’enjeu dépasse largement le droit des Suisses de renvoyer des criminels étrangers : l’équilibre du monde est précaire, la démocratie est en danger dans de nombreux pays, elle est même à construire dans certains. Ce n’est pas le moment de porter un coup aux institutions supra-nationales.
Ce n’est d’ailleurs pas qu’un problème de principe, moral, philosophique ou politique. Car notre prospérité économique dépend un peu de notre droit à l’autonomie mais encore plus de nos relations avec le reste du monde. Nous voulons que la Suisse soit à la pointe du combat pour une économie mondiale plus équitable, pour une protection mondiale des travailleurs et des consommateurs, pour une protection mondiale du cadre écologique: cela implique, au lieu d’une autonomie renforcée des Etats, des règles internationales négociées et appliquées partout. Donc des instances de contrôle, de recours.
Ainsi, et ce n’est pas négligeable, la Cour européenne des droits de l’homme constitue un recours, assez souvent employé par des citoyens suisses qui s’estiment lésés par une décision administrative ou judiciaire. Cela constitue un rempart contre l’arbitraire, qui reste possible même dans notre beau pays. Cette Cour (où nous avons des représentants) a d’ailleurs largement servi à attester que ces droits sont respectés dans notre pays (98,4% des jugements concernant la Suisse): ces juges étrangers pensent donc comme les nôtres !
Peut-être pas comme les représentants de l’extrême-droite qui n’aiment pas cette CEDH: elle donne des droits aux travailleurs, aux immigrés, aux femmes, aux accusés et prisonniers. Nous soupçonnons que c’est aussi cela qui motive les initiants !
Pour imager notre propos, imaginons une association sportive suisse qui déciderait que ses statuts et décisions priment sur ceux de la fédération internationale et qu’elle peut donc adopter ses propres règles en compétition. Pas trop de problèmes pour les lutteurs à la culotte ou les joueurs de hornuss : il n’y en a guère qu’en Suisse. Mais les autres sportifs seraient très vite hors-jeu au niveau international.
Parce que nous voulons que notre pays conserve sa place dans le concert des nations, parce que nous voulons qu’elle contribue de plus en plus, au niveau mondial, à la paix, à la justice et à la sauvegarde de la Création, nous refusons le repli nationaliste proposé par l’initiative et voterons non le 25 novembre.
J.-F. Martin
Secrétaire des CGR
(paru dans l’Espoir du Monde, n° 171 – novembre 2018)